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Plaisirs d’amour et amours dangereuses

Un érotisme à l’égyptienne ?

L’art égyptien est empreint de beauté, de noblesse et de dignité ; aucun laisser-aller dans les attitudes des couples, aucune vulgarité. Le parfum donc, le plus subtil et le plus impalpable, était le signal amoureux majeur. L’Égypte préfère l’évocation au fait brut, la sensualité suggérée à l’érotisme affiché.

Embrasser se dit sert, à savoir le même mot que « respirer une odeur », « fraterniser ». La femme qui dénoue ses cheveux parfumés n’invite-t-elle pas son amant à l’embrasser et à partager sa couche, elle aussi parfumée ? Un bien modeste témoignage, un dessin tracé par un artisan de la communauté de Deir el-Médineh, nous montre une amoureuse souriante, nue sur son lit, la main gauche sous la tête, un bandeau floral dans les cheveux ; attend-elle l’homme qu’elle aime ou savoure-t-elle les moments de plaisir qu’elle vient d’éprouver ? Et l’amante ne se plaît-elle pas à jouer de la harpe pour envoûter son amant et l’amener vers elle, à la manière d’une magicienne ?

Plaisir évoqué, parfum des sens, raffinement de l’élan amoureux, poésie des mots, élégance des gestes… Les Égyptiennes connurent de merveilleux plaisirs d’amour.

Pourtant, aucune pruderie. Les organes génitaux masculins et féminins[86] sont présents dans les hiéroglyphes, la nudité n’était pas proscrite, le dieu Min est représenté en érection pour évoquer le dynamisme créateur à l’œuvre dans le cosmos et dans la nature. D’après une « clé des songes », si un homme rêve qu’il fait l’amour avec sa femme, c’est un bon présage : quelque chose de bon lui sera transmis.

Les postures érotiques sont parfois illustrées de manière réaliste sur de petits fragments de calcaire, les ostraca, qui servaient de brouillons aux dessinateurs ; on connaît aussi des terres cuites plus ou moins tardives qui prouvent, s’il en était besoin, que les Égyptiennes ont bien goûté aux joies de la sexualité[87]. Sexualité joyeuse, libre, qui fait dire à un vieux moraliste, avec un léger sourire : « Grande dame le jour, femme la nuit ».

Et l’on ne peut passer sous silence le fameux papyrus provenant de Deir el-Médineh, et conservé au musée de Turin[88], papyrus si sulfureux, d’après les augustes cercles d’érudits, que seuls des yeux très avertis peuvent le contempler. À quel « enfer » donne accès ce document ? Il s’agit, à l’évidence, d’une satire : l’humoriste raconte une histoire dont le sens nous échappe, à cause du caractère elliptique du texte qui accompagne les dessins. Nous assistons à des épisodes mettant en scène des animaux, qui imitent des attitudes humaines et raillent la vanité des bipèdes, puis nous entrons dans une sorte de maison close où des hommes, plutôt grossiers, mal rasés et mal coiffés, font l’amour avec de jeunes femmes qui, pour tout vêtement, ne portent que ceinture, colliers et bracelets. Elles sont maquillées, l’une d’elles se met du rouge à lèvres en regardant dans un miroir. Lits, coussins, jarres de vin et de bière, instruments de musique composent le décor d’une soirée très animée, au cours de laquelle les postures amoureuses demeurent néanmoins tout à fait classiques.

Nous sommes probablement à l’intérieur d’une « maison de bière », où officient des jeunes femmes que l’on qualifie de « filles de joie ». La plupart devaient être plus proches des geishas japonaises que des prostituées modernes ; portant souvent un tatouage sur la cuisse, elles devaient savoir danser, jouer de la musique et distraire le cœur de l’homme. Nombre d’entre elles étaient des étrangères, notamment des Babyloniennes.

Amours dangereuses : la mise en garde des sages

En toutes choses, l’Égypte condamne l’excès. Aux étudiants qui oublient le travail pour s’adonner aux plaisirs de la boisson et du sexe, les scribes adressent de sévères avertissements. Ils leur reprochent d'aller de taverne en taverne, de se laisser prendre par l’odeur de la bière, de souiller leur âme. Le gouvernail de leur barque est tordu. Ils ressemblent à un sanctuaire privé de son dieu, à une demeure sans nourriture. Ils se commettent en public, installés dans une « maison de bière », entourés de jeunes filles prêtes à satisfaire tous leurs désirs. Une guirlande de fleurs autour du cou, inondés de parfums, ils finissent par tomber sur le sol, salis par leurs vomissures. L’excès de plaisir n’est plus du plaisir.

Le sage Ptah-Hotep met en garde contre les dangers de la séduction : Si tu désires faire durer l’amitié dans une demeure où tu as tes entrées, comme frère ou comme ami, ou en tout lieu où tu as tes entrées, garde-toi de t'approcher des femmes (à les toucher). On n’est jamais trop lucide ! Des milliers d’hommes se sont laissé prendre au piège de la séduction. Pour un court instant de plaisir, semblable à un rêve, que de malheur ! Et celui qui échoue, en continuant à courtiser les femmes, échoue en tout[89].

Et le sage Ani d’ajouter que l’homme prudent doit se tenir éloigné de la femme qui n’est pas connue dans sa ville ; n’est-elle pas semblable à une eau très profonde, aux remous imprévisibles et dangereux ? Autre péril, pour Ptah-Hotep : la femme-enfant, dont le désir sexuel ne sera jamais « rafraîchi » et qu’aucun homme ne pourra satisfaire.

« Concubines » du mort ?

Dans certaines tombes privées, dont la plupart datent du Moyen Empire, furent découvertes de curieuses figurines de femmes nues en faïence bleue, le corps parsemé de petits points évoquant des tatouages. Elles portent des bijoux et une ceinture, et arborent un large bassin ; d’autres sont en ivoire ou en bois.

Ne s’agissait-il pas de femmes de mauvaise vie ? L’imagination des savants se troubla, jusqu’à croire à une inquiétante pornographie funéraire. Ces dames, souvent privées de jambes, ne garantissaient-elles pas au défunt un inépuisable plaisir sexuel ?

Théorie alléchante pour certains, mais inexacte, puisque ces « concubines du mort », bien mal nommées, furent également déposées dans des tombes de femmes et de fillettes. Une inscription nous offre la clé majeure : « Puisse la renaissance être accordée à cette femme ». Autrement dit, ces figurines sont des incarnations de la Grande Mère qui, au-delà de la mort, accorde une vie nouvelle aux justifiés et les fait renaître en son sein. Leur rôle consiste à régénérer le défunt ou la défunte, à leur faire vivre une grossesse en esprit pour les faire renaître dans l’autre monde. Ni concubinage ni érotisme, mais magie symbolique, indispensable lors du grand passage.

 

Les égyptiennes
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